La puissance de la vulnérabilité

La puissance de la vulnérabilité
Drôle de synchronicité, hier une nouvelle lune en scorpion, avec éclipse, à l’aube de la Samain,
Et hier ça faisait un an que ma mère est partie.
Pas besoin de dire que ça s’annonçait intense.
Il y a un an quand elle est partie, j’ai à peine pleuré et pas du tout sur le moment.
Quelque chose en moi est si habitué à ce mode de sidération, de figement, que je me dis que ca doit avoir été une solution géniale à un moment dans ma vie, puisque encore c’est si efficace, si pointue, si invisible.
Je n’ai pleuré qu’une semaine après sa mort, dans une église dans laquelle j’avais tellement du mal à contextualiser la célébration de sa vie et de son départ,
mais c’est là que je me suis retrouvée à lire des mots écrits pour elle.
J’avais du mal à le faire, ma sœur m’avait demandé si j’en avais envie, c’était plutôt un non, jusqu’au matin de la cérémonie, jusqu’à une heure avant,
face au dernier café dans l’énième bar en attente de l’horaire prévu.
Je crois que la seule raison pour laquelle j’ai écrit ces mots en exposant mes sentiments aux oreilles de personnes présentes qui pour la plupart je ne sentais ni proches de moi ni de qui elle était selon moi,
a été justement l’envie de rendre humain, personnel ce moment, qui autrement se serait noyé dans la bien-pensance, la morale, les phrases à dire sans vie, et la froideur d’une messe faite par un mec que n’avait jamais rencontré ma mère.
Quand j’étais enfant, ma mère me demandait d’écrire une poésie à chaque Noël pour la lire à minuit à ces personnes, qui comme ce jour-là, je ne sentais pas proches.
Je le faisais pour elle, pour sa fierté projetée sur moi que je n’osais pas décevoir, pour faire simple je le faisais pour ne pas dire non.
Je me souviens encore du sentiment de solitude en recevant les louanges de cette « famille élargie ».
Ainsi, maman souriait, et la comédie continuait.
Alors ce jour-là, à ses funérailles, instinctivement je revendiquais ma liberté de ne pas dire ce qui est à moi, le choix de l’exposer seulement à un regard qui peut voir au délà de la projection, de l’attente.
Mais là il s’agissait d’elle, de la célébrer, elle.
J’ai senti que la complexité de cet être qui paraissait à la plupart un être simple, solaire, joyeux, pouvait peut être exister plus visiblement pour un moment.
Je voulais lui prêter le courage de s’exposer pour ce qu’elle était, et qu’elle avait passé sa vie dans la croyance de devoir cacher ;
je voulais raconter sa mélancolie et son allégresse, son vide et son puissant élan de vie.
Son masque et sa peau, sa solitude et ses innombrables fêtes,
son amour fou pour mon père et son refus de le rejoindre ;
elle, un être humain, contrasté, et pour cela vivant, riche, bien plus d’un semblant monolithique, ce qu’elle croyait être bien plus acceptable.
En lisant ces mots dans cette eglise, qui cherchent à décrire ce que j’ai cru comprendre d’elle,
ma voix se casse, des larmes coulent, et je ressens à nouveau, un amour plein, contradictoire, intense, l’amour irrésolu, suspendu, pour cet être qui n’est plus là et qui l’est plus que jamais.
La petite en moi pleure cette rencontre trop partielle pour se terminer, des mots trop tus, une reconciliation trop tardive.
Finie la cérémonie, tout se referme, je reviens à Paris, à mon travail, à cette montagne d’actions qui m’engloutit et me protège à la fois.
Je m’abstrais juste assez de l’inconfort d’un ressenti vif, dont j’ignore l’existence.
Je cherche même à pleurer parfois, comme un devoir, je me dis que ce n’est pas normal que ma sœur y arrive, je sais à quel point j’aimais ma mère.
Trop, et pas assez.
Rien, je ne ressens rien.
Et puis hier, un an après.
Je me reveille en vrac, impossible de m’assoir en silence. Des émotions que je ne sais pas nommer, comme des vagues qui se crashent sur les roches, confuses, indomptables.
Je dois animer un cercle de femmes ce soir, je suis tentée d’annuler.
Car je me dis mon injonction à la perfection risque de couvrir une fois de plus ces vagues de la vie en moi.
D’habitude le jours des cercles et cérémonies je reste en écoute, méditant, préparant.
J’essaie d’être ‘dans mon axe’, sereine, au calme.
Et là, je décide sans décider que je me laisse juste pleurer,
Même si ca veut dire que j’aie les yeux rougis, que rien n’est préparé,
même si j’attends de moi que je sois le phare, la forte, celle qui sait où on va.
Je me mets ‘en bulle’ sur mon sofa, et là je ne sais pas quel âge j’ai, je pleure la plus humaine des expériences, le manque.
Le manque de ma mère et la manque je crois d’une mère qui n’a jamais existait en forme physique dans ma vie, qui peut être ne peut même pas exister comme un humain..
celle dans laquelle je pourrais toujours me mettre en bulle, celle qui, quoi qu’il arrive, est là, qui m’ accueille, me console, me défend, me réconforte, me comprend.
Je contacte un sentiment de solitude vaste, le manque d’un utérus comme lieu sûr où se cacher, où retrouver la securité quand la vie brasse, bouge, casse, quand il fait froid.
Et je me laisse juste ressentir, mes mains caressent mon cœur.
Les femmes arrivent, mes yeux sont encore rouges mais les larmes ont coulé, et j’ai pu ressentir un peu cet utérus quelque part ou partout à la fois, en personne et en chacune qui passe la porte,
en moi.
Quelque chose est à vif mais plus calme, plus vaste, plus limpide.
On tourne le bâton de parole dans le cercle,
on se raconte,
généralement moi je suis la gardienne et pas totalement
« une parmi elles ».
Mais pas ce soir, le bâton tourne jusqu’à mes mains, et là, je raconte ce que je viens de raconter dans ces lignes, les larmes coulent, juste un peu,
le temps d’être une humaine parmi les humains.
Leur amour m’enveloppe en un instant, l’illusion d’une demande de droiture qui n’existait qu’en moi s’évanouit en une reliance horizontale, vulnérable, vive, et chaude… Comme un utérus 🙂
Elles me remercient de la confiance.
Je me rends compte que cette sincérité,
dont elles m’ont fait don une infinité de fois,
a vraiment si naturellement le pouvoir d’éveiller l’amour.
Que c’est en fin de compte ce pourquoi on est là,
et parfois même, ce pourquoi on part.
 

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